Rapport de la Cour des comptes sur les politiques d’égalité au travail et à l’école : un coup de semonce pour l’action publique
L’égalité entre les femmes et les hommes est érigée en grande cause nationale depuis 2017. Qu’est-ce que cela a produit ? En septembre 2023, la Cour des comptes avait établi un constat critique de la politique menée par l’État. Son rapport de janvier 2025 s’intéresse spécifiquement aux inégalités au travail et à l’école. Il n’est guère plus favorable. Les magistrats y dressent un état des lieux « décourageant ». Leur analyse des choix effectués en matière d’outils et de leviers d’action publique est particulièrement utile.
Des inégalités au travail et à l’école persistantes
Les chiffres sont indéniables : les femmes réussissent mieux à l’école et sont plus diplômées que les hommes. Pour autant, les inégalités salariales peinent à se résorber. Comment expliquer ce paradoxe ?
Une orientation scolaire et universitaire qui demeure sexuée
Les femmes ont bénéficié de la massification scolaire. Toutefois, elles n’en tirent pas autant d’avantages que les hommes. Les stéréotypes de genre représentent l’explication principale avancée par la Cour des comptes. Ces préjugés sont intériorisés par les filles elles-mêmes, mais aussi par leur entourage et le corps enseignant. Ainsi, elles sont encore peu à privilégier les filières scientifiques et/ou sélectives.
La réforme du bac de 2018, qui n’a pas tenu compte de la dimension de genre, a renforcé la dynamique. Elle a conduit à un recul de l’enseignement des mathématiques au lycée, en particulier pour les filles. En 2023, plus de la moitié d’entre elles ne suivaient plus de cours de cette discipline en terminale (pour 30 % des garçons).
Une ségrégation verticale et horizontale au travail
Les différences d’orientation selon le sexe ont un impact réel sur l’insertion professionnelle. Les femmes se concentrent principalement dans les métiers du service et du soin, peu rémunérateurs et aux conditions de travail souvent précaires. C’est ce que l’on nomme la ségrégation horizontale.
À cette situation, pesant sur l’égalité salariale, s’ajoute le phénomène du « plafond de verre » qui freine l’évolution professionnelle des femmes. Sur l’ensemble des hauts diplômés :
- Les femmes sont moins représentées parmi les emplois de cadres et les professions intellectuelles.
- Quand elles le sont, elles occupent moins souvent une position de direction, notamment aux niveaux les plus élevés.
Une action publique en matière d’égalité à l’école et au travail très perfectible
La Cour des comptes a passé en revue les moyens normatifs et financiers consacrés à réduire les inégalités scolaires et professionnelles. Au-delà des efforts apparents, elle pose un regard critique sur les modalités d’intervention et l’affichage budgétaire.
Des politiques publiques peu efficaces
Dans le domaine éducatif, les principaux textes relatifs à l’égalité entre les filles et les garçons relèvent du « droit souple ». Ils possèdent peu de force exécutoire et ont pour objectif essentiel d’inviter les parties prenantes à agir. Des démarches ont tout de même vu le jour dans les académies et les établissements (référent.es dédié.es, labellisation, formation). Mais le manque d’impulsion politique et de pilotage représente un frein important à leur plein déploiement.
Pour ce qui concerne l’égalité au travail, les magistrats relèvent un empilement de textes parfois redondants. De plus, ils critiquent des sanctions et des pénalités peu dissuasives. Dernier outil en date, l’index égalité professionnelle, instauré en 2018, fait l’objet d’un jugement sévère. Non seulement il ne touche que 25 % des salariés du privé, mais il masque aussi les inégalités de rémunération inférieures à 5 %.
Des moyens octroyés en trompe-l’œil
Les documents budgétaires des dernières années montrent une augmentation notable des moyens financiers consacrés à l’égalité :
- Les crédits spécifiquement dédiés (programme 137 « Égalité entre les hommes et les femmes») ont presque triplé entre 2017 et 2023.
- Les moyens apparaissent multipliés par 25 entre 2018 et 2024 en tenant compte de la contribution des autres secteurs de l’action publique, retracée dans le Document de Politique Transversale (DPT).
Ces progressions sont à prendre avec beaucoup de prudence, car elles relèvent surtout d’une logique d’affichage. En effet, le programme 137 a vu son périmètre élargi. Quant aux données inscrites au DPT, elles dépendent des choix opérés par chaque ministère concerné. Elles évoluent d’une année à l’autre sans correspondre pour autant à la création de nouveaux dispositifs.
L’attente d’une véritable budgétisation sensible au genre (BSG)
Le rapport aborde succinctement l’enjeu de la budgétisation intégrant l’égalité sollicitée par des parlementaires en mai 2023. Les magistrats financiers mettent en garde contre les risques d’une cotation trop simpliste qui exclurait ou jugerait neutres un grand nombre de lignes budgétaires. C’est en effet un risque mais qui peut être atténué.
Afin de rendre compte des effets des choix budgétaires sur les inégalités, il importe :
- de disposer de données genrées facilement mobilisables ;
- de les analyser avec une expertise de genre.
D’ores et déjà, des collectivités locales se sont engagées dans un tel exercice. Le cabinet Perfégal accompagne plusieurs d’entre elles pour en établir la méthodologie ou pour procéder à sa mise en œuvre opérationnelle. Il n’y a pas meilleur exercice pour évaluer l’action publique, l’impact et l’efficacité de toutes les politiques publiques sur les inégalités femmes-hommes et des crédits dédiés à l’égalité.
Pour lire le rapport et sa synthèse : Les inégalités entre les femmes et les hommes, de l’école au marché du travail, Cour des comptes, 27 janvier 2025.